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Décidément entre l’article de Dominique et la chronique du dernier Mats/Morgan, Frank Zappa n’aura jamais autant été à l’honneur dans le Koid’9 que dans ce nouveau numéro. Et c’est tant mieux car il serait dommage de trop vite l’oublier. En effet, bien que son apport dans ce domaine soit considérable, ce génial créateur du XXème siècle est bien trop souvent négligé par l’amateur de rock progressif. Zappa fait peur, c’est bien connu : trop "barré", pas assez mélodique, trop cérébral et paradoxalement manquant totalement de sérieux, touche à tout sans queue ni tête. Et par dessus le marché le bougre avait la prétention dans ses pires moments de fusionner jazz et musique contemporaine. A donner une crise d’urticaire aiguë à n’importe quel "progster de base". Mais quel rapport avec "Le sacre du tympan" et Fred Pallem, me direz-vous ? Tout simplement parce qu’il semble évident que la démarche de son auteur est similaire en bien des points à celle du père des Mothers of Invention. Une filiation qui saute aux oreilles dès le premier accord de "la procession des illuminés", le titre d’ouverture qui annonce d’entrée la couleur. Celle d’une musique définitivement jazz mais n’hésitant pas à se nourrir de l’énergie du rock et à emprunter la sophistication de la "Grande Musique" (entendez par là plutôt le classique contemporain). Pour ce faire, ce bassiste ancien élève du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (section jazz) et lauréat du Concours National de Jazz de La Défense-édition 2000 (excusez du peu !) a réussi l’ambitieux projet de réunir autour de lui un big band de 17 musiciens. Un orchestre qui comprend, outre une solide et très fournie section de cuivres, un pianiste qui tâte également des synthétiseurs, un percussionniste aux lumineuses parties de vibraphone qui confirment par là même les accointances zappaïennes, et enfin un guitariste (et banjoïste) ainsi qu’un batteur, tous deux contribuant nettement à en renforcer l’aspect rock. Enregistrés live avec et sans public (prise de son remarquable et mixage très bien équilibré), cette bande de joyeux drilles parvient dans une ambiance festive à donner naissance aux compositions de Fred Pallem. Formidablement inventives et aux arrangements terriblement ingénieux, elles pourront également évoquer à l’auditeur les travaux de Bob Brookmeyer, Maria Schneider ou encore Carla Bley, créateurs d’un jazz très orchestré qui doit une part de son inspiration à des compositeurs comme Bela Bartok ou Charles Ives. Mais l’humour y tient également une place importante. Pallem s’amuse à truffer ses morceaux de citations de musiques de films ou de séries télé, à parodier des thèmes de country-western ou de surf-music ou à faire sonner l’orchestre comme la fanfare du cirque Barnum. Le tout se télescopant au sein de pièces parsemées de breaks, où des dizaines d’idées fusent à la seconde et dont la drôlerie n’a d’égal que leurs titres : "et pour quelques fayots de plus…", "tu es belle et tu sens bon", "une de perdue, une de perdue", etc…
Ici, malgré la relative longueur des morceaux, on ne trouvera pas les interminables échanges de chorus que les réfractaires à ce style pourraient craindre mais davantage des soli gorgés de feeling et dont la présence n’est en aucun cas superflue. Au point qu’ils permettent à la musique d’atteindre le niveau de décontraction nécessaire afin d’en équilibrer la densité.
S’il s’agit bien d’un album en possédant bien des aspects, on sent bien que son auteur n’est pas du genre à faire du jazz pour le jazz. En s’enrichissant avec intelligence de l’apport d’autres courants musicaux, de manière très ambitieuse voire littéralement progressive, cette œuvre paraît par conséquent à même d’attirer la curiosité des amateurs de musiques élaborées (certains diraient sophistiquées) qui tiennent ce Koid’9 entre les mains.
Au moins, une chose est sûre, les amateurs de Zappa devraient en premier lieu se jeter dessus. Avec des talents pareils, la relève est clairement assurée.
Eric Verdin
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