Yoke Shire : The Witching Hour (2008 - 2 cd - parue dans le Koid9 n°66)

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Cela faisait longtemps que j’attendais des nouvelles de ce formidable groupe américain, localisé à Boston. Souvenez-vous, j’avais interviewé les frères Herlihy et chroniqué leur anthologie "A seer in the mist" en 2003 pour le premier numéro de Koid'9 avec couverture couleur (celle avec Michael Sadler en action !). Depuis, plus rien si ce n’est des annonces de concerts américains et un single de musique des Caraïbes sans grand intérêt pour le fan de prog ("Solar solstice" en 2004). Yoke Shire a débuté sous forme de quatuor en 1990, est devenu un trio en 1996, puis un duo en 2001. Composé de Craig (chant, guitares, batterie, basse, claviers, flûtes, saxophone, mandoline, glockenspiel, marimba, dulcimer…) et de Brian (guitares, percussions et chœurs), Yoke Shire nous offre aujourd’hui son album le plus abouti. "Masque of the shadow" (1999) était réussi. "The witching hour" est magnifique et magique. Jamais à l’écoute de ce double CD, on ne se doute qu’il est l’œuvre de seulement deux musiciens, car multiples sont les lignes instrumentales. Les frangins Herlihy ont mis 4 années pour composer et enregistrer ce "magnum opus" dans leur propre studio. Le résultat est par conséquent à la hauteur de l’attente. C’est frais, beau, doux, aérien, mystique, mais également très contrasté et surtout très ambitieux. Les 81mn que compte ce double s’avalent d’une traite sans qu’on ne s’aperçoive du temps passé. Si la base est souvent acoustique, les percussions colorées, la riche instrumentation (flûtes, sax, guitares électriques furieuses, piano électrique, vibraphone…) donnent de l’épaisseur aux 13 morceaux. Yoke Shire nous offre des paysages instrumentaux semblant sortis des contes et légendes celtiques, scandinaves et orientales. "Full moon rising" amorce l’album de manière très floydienne, mais ne nous y trompons pas, c’est plutôt vers l’univers d’un Jethro Tull et d’un Black Widow (avec cette flûte et ce saxophone si caractéristique), voire de Sweet Smoke, que semble s’orienter le duo. "Spiral dance" est, comme son titre l’indique, plus rythmé et hallucinant avec ses percussions entêtantes, ses synthés hypnotiques et son sax alto omniprésent. A noter que c’est le premier album de Yoke Shire à contenir du saxophone et Craig en joue très bien dans un registre qui n’a rien à voir avec le jazz. Je parlais plus haut de Black Widow, mais on peut trouver aussi des réminiscences des albums les plus progressifs d’Hawkwind. "Passage upstairs" dispose d’ailleurs d’un bon riff, tout comme le très jethrotullien "shiver" et ses soli épileptiques de flûte. L’épique "triskelion" du haut de ses 8mn reste dans cet environnement bucolique, hors du temps. Après un interlude fantomatique de 2mn ("widow’s walk" avec cette voix féminine de synthèse créée par le Theremin), vient le très seventies et syncopé "the witching hour" (6’25), prétexte à des solos psychédéliques de guitare et de chœurs entremêlés. Bien chouette… Le dernier titre du 1er CD s’intitule "a myriad of moons" et dure 8’25. Piano électrique et guitare acoustique forment le socle de ce nouvel épic, alors que la voix grave et plaintive de Craig nous entraîne sur des sentiers jusqu’alors inexplorés. A 3’35, Brian nous expose sa version des choses de sa guitare électrique énervée, doublée à la tierce supérieure par celle de son frère. Plus loin, les percussions et les synthés stupéfiants conversent avec une guitare aux fortes odeurs de marijuana, tandis que le père Craig s’égosille avant de rendre l’âme. Fabuleux… et le terme est bien faible ! Le 2ème CD ne contient que 5 titres, dont la suite de 16mn "dream tea" qui s’ouvre sur des arpèges de guitare acoustique, rejoint par une basse à l’unisson, les clochettes, le piano puis un vieil orgue hammond au son bien vintage. Les guitares font leur apparition sporadiquement, créant l’événement et de beaux contrastes. Bien évidemment, le morceau va offrir des espaces de liberté aux musiciens qui se lancent dans quelques élucubrations et délires solistes bien "space". Le plus remarquable chez Yoke Shire réside dans le son des percussions qui assaisonnent la composition déjà bien riche et complexe. Et dire qu’ils ne sont que deux… Comment font-il pour penser à tout cela ? "Midnight chimes", largement instrumental, s’avère une longue jam de 7’07 où brillent orgue et guitare, tandis que tourne une rythmique du feu de dieu. Et ça recommence pendant 8’29 avec "again midnight chimes" qui s’ouvre sous un déluge percussif avec que les flûtes ne fassent leur apparition. Le style est vaguement oriental ; on se croirait dans un souk de Marrakech alors que Craig vocalise par endroit, aidé par le Theremin à voix de femme. J’adooore ! L’album se conclut sur deux courts titres. "Damiana", tour de force très construit à la Rickenbacker aux multiples parties juxtaposées. Original et beau… Enfin l’évaporé et apaisant "bard of the north woods", propice à la rêverie.

Si vous ne l’avez pas encore compris à la lecture de cette chronique, plus longue que la moyenne, "The witching hour" de Yoke Shire est pour l’heure mon album de l’année. J’aimais déjà beaucoup les deux précédents opus de ce groupe, mais "The witching hour" est largement au dessus. Comme quoi, il est parfois bon de prendre son temps. Reste désormais que cet album soit distribué comme il le mérite. Vous pouvez dès à présent le commander sur www.yokeshire.com.

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Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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