Ayreon : The Human Equation (2004 - 2 cd / 1 dvd - parue dans le Koid9 n°50)

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Avec "The human equation" qui marque son retour au projet Ayreon, Arjen Lucassen s'intéresse à l'âme humaine. Un personnage central ("Me", James LaBrie), victime d'un inexplicable accident, est plongé dans le coma, veillé par sa femme (Marcela Bovio de Elfonia) et son meilleur ami (Lucassen). Nous allons rentrer dans sa vie et son passé, découvrir quels lourds secrets et traumatismes pèsent sur lui, tandis que des voix résonnent dans sa tête et semblent recéler une solution pour exorciser ses démons et le sortir du coma. Ces voix sont des émotions ou des composantes de sa personnalité : Orgueil (Magnus Ekwall de Quill), Peur (Mikael Arkerfeldt d'Opes), Amour (Heath Finlay de Most Autun), Rage (Devin Townsend), Souffrance (Devon Graves de Da Soul Trie), Passion (Irene Janssen) et la Raison (Erice Clayton de Saviour Machine). Enfin, il y a le personnage du Père qui n'intervient que sur un morceau (Mike Baker de Shadow Gallery).

L'album s'étale sur plus de 100 minutes et 20 morceaux. Lucassen repousse les limites de ses influences aussi nombreuses qu'éclectiques, tout en gardant une personnalité assez reconnaissable… Cette œuvre est profondément liée au concept et le travail sur les dialogues est assez fantastique, bien plus élaboré que sur "Into the electric castle", par exemple. On trouve souvent 4, 5, 6 voire 9 chanteurs dans un même morceau et tout cela sonne de façon très naturelle, avec un son d'ensemble particulièrement magnifique.

L'éventail vocal est donc très vaste, d'autant plus qu'Arjen essaye d'exploiter plusieurs aspects de ses chanteurs. LaBrie utilise surtout son timbre lyrique, souvent intimiste, parfois son registre plus puissant. Ekwall ressemble vaguement à Robert Plant en plus agressif et éraillé. Clayton est très dramatique, rappelant légèrement le registre grave de Bowie s'il avait pris des leçons d'opéra ! Akerfeldt, malgré son rôle, utilise très peu de "grunt", essentiellement son timbre clair et mélancolique. La voix de Graves est aussi le plus souvent pure mais plus dramatique. Devin Townsend joue évidemment dans les extrêmes mais il n'est guère présent et ses parties vocales multiples où il utilise un mélange de timbres allant du plus clair au plus enragé sont assez impressionnantes. Irene Janssen est très puissante et sa voix est souvent démultipliée. Heather Findlay est toujours aussi angélique et Marcela Bovio est LA véritable révélation de l'album : la pureté de sa voix, son émotion et la largeur impressionnante de son registre sont un des atouts majeurs de cet album.

Lucassen assure guitare électriques et acoustiques, mandolines, la plupart des claviers (omniprésents) et la basse. Son chant assez présent, avec un timbre moins trafiqué qu'à l'habitude, est très plaisant, assez proche des Beatles en fait. Ed Warby est un batteur caméléon, doublé d'un sacré technicien (son jeu est bien plus varié que dans Star One). Avec Robert Baba (violons), Marieke van der Heyden (violoncelles), Jeroen Gossens (15 flûtes et autres instruments à vent !) et John McManus (flûtes), les arrangements prennent assez souvent une teinte plus organique, orchestrale.

Côté musique, tout est étroitement enchaîné. Il n'est pas rare d'entendre quelques références sonores et musicales à Pink Floyd vers 73-77 (cf. les synthés et les solos de guitares d'Arjen), Led Zeppelin (plutôt leur côté acoustique), Jethro Tull (on croit parfois entendre Ian Anderson lui-même !), Deep Purple, Uriah Heep, les Doors, Rick Wakeman, les Beatles, Queen… et souvent un peu de tout ça dans un même morceau ! (cf. "day five : voices" !). Par ailleurs, il y aussi ce côté metal plus ou moins présent (il est impossible d'étiquetter cet album comme du metal en tout cas), les vocaux grandioses, parfois un véritable mur de guitares et de synthés grandiloquents mais aussi beaucoup de moments calmes et très beaux, vraiment émouvants, de très fortes influences celtiques et folk, parfois même classiques. Etonnant, non ?

Très loin d'être une répétition de "Into the electric castle", "The human equation" est plus fort sur le plan mélodique, plus complexe et varié et son ambiance générale résolument sombre et dramatique, souvent mélancolique, l'en distinguent sensiblement. Il y a néanmoins quelques passages plus enjoués, voire un morceau caricatural ("Day Sixteen : Loser". Cf. interview). Il faut ajouter à cela des sections instrumentales superbes et variées (même si Arjen lui-même ne fait que peu de solos), avec Martin Orford, Oliver Wakeman, Ken Hensley et Joost van den Broek (Star One live) faisant chacun une intervention aux claviers.

Album très dense, "THE" nécessite de nombreuses écoutes attentives pour être pleinement apprécié, avec le livret entre les mains pour bien saisir qui chante quoi (pas toujours évident !) et suivre l'histoire. Dans l'ensemble, on finit par s'apercevoir qu'il s'agit très probablement de l'œuvre la plus profonde et la plus aboutie de Lucassen, un album complètement intemporel… et inclassable !

Trois formats sont disponibles : édition limitée en digibook grand format avec double CD plus un DVD d'environ 65 minutes, incluant une longue interview sous-titrée en anglais où Lucassen explique son concept, son processus créatif (très intéressant et marrant !), avec des performances des chanteurs et des autres musiciens, un clip vidéo, une biographie racontée par AAL lui-même, plus un livret de 40 pages luxueux comportant ses commentaires sur les musiciens. Par ailleurs, il y a une édition spéciale avec un coffret en format normal contenant les deux CD et le DVD et enfin, une édition classique en double CD.

Quant au 1er single, "Day Eleven : Love" (digipack), on y retrouve deux reprises : "no quarter" de Led Zeppelin en acoustique avec Graves, Clayton, Labrie, Ekwall et "space oddity" de Bowie chantée par Clayton.

Note : 5/5

Marc Moingeon






Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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