Patrick Rondat : An Ephemeral World (2004 - cd - parue dans le Koid9 n°50)

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Patrick Rondat a depuis toujours choisi la voie difficile de la musique instrumentale, dans un monde rock et pop de plus en plus formaté mais qui n'a pourtant pas toujours donné la priorité exclusive aux chanteurs. Il a aussi toujours eu des velléités progressives très nettes, surtout à partir de son second album et le rock progressif fait partie, au même titre que la musique classique, le metal, le jazz rock et bien d'autres styles encore, de son univers musical particulièrement vaste. Fruit d'une longue gestation, "An ephemeral world" est probablement son album le plus abouti, une œuvre plus personnelle encore que ses précédentes.

Patrick nous dessine des paysages sonores fortement évocateurs sous la forme d'une musique plus ou moins orchestrale, voire symphonique, où les différents claviers ont une place très importante à côté des guitares. L'aspect metal et la virtuosité sont bien là, d'accord, mais cette musique privilégie avant tout la mélodie et les atmosphères.

Loin de s'inscrire dans ce qu'on appelle parfois le style "néoclassique", ces nouveaux morceaux sont résolument modernes, les influences classiques sont digérées et plus présentes dans la construction que dans les mélodies elles-mêmes. On reconnaît néanmoins quelques références dans les solos rapides, certaines sections assez typées ("avalonia"). Cependant, c'est surtout sur un extrait de la "Partita n°1 pour violon solo" de Jean-Sébastien Bach, que l'amour de Patrick pour ce type de musique en général et le grand maître allemand en particulier transparaît clairement, au travers d'une interprétation époustouflante de cette pièce extrêmement difficile à jouer, sur une guitare électrique dont le gros son en surprendra certains.

La plupart des titres sont assez longs (plusieurs morceaux de 6, 8 et même 12 minutes pour "tethys" ! L'album dépasse les 65 minutes), avec beaucoup de changements de climats, des rythmes complexes, des arrangements variés, voire quelques bruitages, le tout ayant le plus souvent une coloration épique, majestueuse.

L'ouverture "intro to donkeys island" est surprenante : ambiance de fête foraine inspirée par Pinocchio et la trompeuse Ile aux Anes… Puis "donkeys island" démarre avec tout d'abord une séquence rapide de synthé, plusieurs riffs et thèmes rapidement exposés, un premier passage calme avec une guitare claire, une partie solo aérienne… Nouvelle accélération, frénétique celle-ci, sur un rythme plus linéaire… Et ce n'est pas fini ! Construction parfaite, évolution naturelle, c'est l'exemple type de cet album. Le morceau éponyme qui suit est basé sur un motif de piano et des claviers symphoniques, avec un thème magnifique. "Ispahan" est très lourd et orientalisant, menaçant au début mais un second thème en mode majeur finit par s'installer et le morceau décolle de très belle façon. Rondat sait ménager des moments dramatiques, faire respirer ses morceaux en alternant les passages purement mélodiques avec des solos fiévreux et lyriques ou parfois plus agressifs ("614 HSO"), des sections aériennes ou mélancoliques pleines d'émotion, avec parfois un peu de guitare acoustique. "Twilight est tout en nuances, bluesy et apaisé en même temps.

La production est excellente, naturelle, très claire. Pas de son de batterie monolithique, ni archi-sec non plus. C'est puissant, feutré quand il le faut. Patrick est très bien entouré par l'excellent Dick Bruinenberg (qui joue ici dans un style nettement différent de sa performance dans Adagio) et par le fidèle virtuose de la basse Patrick Guers, très bien mis en valeur et dont le jeu inclut de belles parties mélodiques.

Un album à écouter attentivement sûrement pas destiné uniquement aux amateurs de metal. Pour une fois, en ces temps où la France s'enlise un peu plus profondément chaque jour dans une gadoue musicale et intellectuelle affligeante, on peut se montrer chauvin et s'enorgueillir de posséder un compositeur inspiré qui est aussi un instrumentiste exceptionnel. Allez Patrick !

Note : 4/5

Marc Moingeon






Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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