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H.G Wells fila un méchant coup de pied dans le bas de caisse de sa machine à voyager dans le temps. Celle-ci répliqua par un long jet d’huile pile sur ses godasses. "Stupid machine !" hurla le savant. Tout en essuyant ses chaussures sur le tapis sur lequel l’engin s’était matérialisé, il regarda avec la plus grande attention l’endroit où il se trouvait.
"Blood and guts" pensa-t-il, "cette machine est encore détraquée". Il avait programmé le compteur temps sur 2002 avant Jésus-Christ, histoire de juger par lui même de la célèbre beauté de Nefertari, et il débarquait dans une salle pas très grande dans laquelle la machine à voyager dans le temps était à l’étroit.
"Le futur, je suis dans le futur !" pensa-t-il. La pièce était en partie composée d’un fauteuil, d’un canapé, d’une table basse, le tout vraiment moderne par les matières utilisées. L’autre partie était plus étrange, constituée d’éléments noirs et lumineux, d’une grosse boîte rectangulaire et de deux énormes colonnes de fer et de bois. Les murs étaient encore plus curieux, recouverts de boîtiers translucides mis côte à côte, il devait y en avoir des milliers.
H.G.Wells consulta quelques papiers présents sur la table basse, il ne lui suffit que de quelques secondes pour comprendre l’étendue de son erreur. "La France" murmura-t-il avec effroi "et en 2002 après J.C".
Tout à son émotion, il réalisa soudain, pétrifié, qu’un son étrange provenait des deux colonnes. La mélopée était incroyable, grondante et trépidante mais bizarrement assez familière. "Le chant !" s’écria Wells "le chant est en anglais". Médusé par cette révélation, il porta son attention sur les paroles qui le déroutèrent totalement. Cela parlait de voyages cosmiques, de vaisseaux des étoiles, d’hommes loups. "On jurerait que l’on a mis en musique les élucubrations de mon ami Verne ou les sottises de ce bon Stocker" se dit-il.
Envoûté par le martèlement d’au moins mille tambours, il s’approcha du fond de la salle et découvrit sept boîtiers bigarrés.
D’après les dessins très colorés, les sept objets formaient un tout unique du nom d’Hawkwind. Six boites contenaient un disque métallique et brillant, la septième était vide. L’esprit audacieux d’H.G.Wells fit instantanément la relation entre la musique et les galettes de métal. Si son raisonnement était juste il était en train d’écouter le disque n°1, consacré à un certain Dave Brock et ses assassins soniques." Probablement des acolytes de Jack l’éventreur… "
Ce n°1 le charma par la longueur et l’intensité des pièces jouées. Les titres "dreams 1 et 2" ou "assassination" le transportèrent dans un état où le temps n’existait pas. Cette constatation le stupéfia car elle prouvait une fois encore la malléabilité de l’espace-temps.
Puis un silence total succéda à la musique. Le savant trouva aisément le lecteur de disque et assimila les fonctions de base de l’appareil. Il retira la galette n°1 et la remplaça par la n°2. "Here is the unusual" était écrit sur le dessin. "C’est bien le moins que l’on puisse dire" pensa Wells en frissonnant à l’écoute de "master of the universe" ou de "welcome to the future". Il resta rêveur assis dans le fauteuil à entendre une folie spatiale inédite des Hawklords nommée "time of…".
Tout en écoutant le disque n°3, il prit connaissance des informations contenues dans des petits livres glissés dans les boîtiers transparents. Les dates des concerts ("des concerts ?" rigola-t-il en lui même, "on est quand même loin de Brahms ou de Purcell pour oser qualifier ces performances électriques de concert") ne l’étonnèrent point ; 1970, 1973, 1975, 1976, 1977, 1978, pourquoi pas après tout. Puisqu’il était dans le futur, cette décennie en valait une autre.
Il fut surpris que ces spectacles n’aient eu lieu qu’en Angleterre, près de Londres, à Stonehenge ou à Watchfield. "L’empire ne doit plus être ce qu’il était…"
L’écoute du n°4 "Journey into space" le laissa pantois, surtout les titres "urban guerilla" ou "steppenwolf". Que des humains moustachus et chevelus, vêtus comme des clochards, soient capables d’exécuter une musique d’une telle ampleur, d’un tel niveau sonore (la rotation intempestive d’un gros bouton marqué "volume" lui faisait encore mal aux tympans), d’une telle rapidité, lui fit émettre des hypothèses sur la mutation de la race humaine au cours du XXème siècle.
La galette n°5 s’avéra terrible pour son équilibre mental. Le fait de jouer avec l’appareil "numeric egalizer" n’était pas étranger à la pression que fit subir "brainstorm" (avec les graves au maximum et une pré-sélection "cathédrale") à son cortex peu habitué à ce genre d’excès. Le style plus reposant, arabisant presque d’ "assassin of Allah" lui permis de se relaxer un peu et de retrouver l’envie de passer au n°6.
Le sixième disque "Live, with other thrilling and amusing features" concernait des performances en public de 1970 et 1973. Le son lui apparut immédiatement d’une qualité moindre, moins clair, moins net, comme lointain. Intuitivement il augmenta le volume (avec beaucoup de précautions) et tout redevint limpide. La beauté simple du morceau "hurry on sundown" (dans une version plutôt rapide) et la force du trépidant "we do it" (enchaîné avec un super "master of the universe") lui permirent de comprendre la force incroyable du groupe lors de cette époque bénie.
"The demos starring Dave Brock" était le titre de la dernière rondelle brillante. Il écouta distraitement des versions assez brutes de "choose your mask" et de "space travellers", tout en examinant de très près les disques si légers, si parfaitement ronds, d’un bleu irréel sur une face qui faisait office de miroir. Il regretta qu’il n’y ait personne dans cette salle étrange. Il aurait aimé converser avec le français qui possédait autant de musique dans autant de boîtiers, et qui aurait pu lui expliquer le mystère de tous ces appareils pleins de lumières multicolores.
Rejoignant d’un coup la réalité, H.G.Wells consulta sa montre et s’aperçut qu’il était là depuis plus de trois heures. Il était temps de reprendre son voyage. Il regarda une dernière fois les sept disques et leurs dessins futuristes. Le n°4 restait son préféré, sans aucun doute. Avec un sourire malicieux, il endossa une veste de cuir noir qui pendait au dossier du fauteuil, ébouriffa ses cheveux, mis ses bas de pantalon dans ses bottes, s’installa sur le siège de l’appareil temporel et régla le compteur temps de sa machine sur 1978, localisation Londres, et en sifflotant "spirit of the age", il appuya sur le levier de temporisation. L’engin sembla se dissoudre dans l’air à l’instant même où s’ouvrait la porte de la salle….
…Tout en ouvrant la porte de la pièce d’écoute, il s’adressa à ses enfants : "j’ai joué avec vous tout l’après midi, alors maintenant vous me laissez peinard. J’ai 7 CD d’Hawkwind à chroniquer pour le Koid’9 et je suis à la bourre". A peine entré dans la salle, il ressortit et demanda à sa femme : "dis donc, il est où mon blouson ? J’ai mes clopes dedans !".
"Accroché au fauteuil, comme d’habitude" répondit-elle en pénétrant dans la pièce. Elle poussa un grand cri et hurla : "mais qu’est-ce t’as fait sur le tapis ? Il est plein de taches d’huile !".
Dominique Reviron
CD1 : Sonic assassins & Dave Brock ; CD2 : Here is the unusual ; CD3 : Free festivals ; CD4 : Live 78 journey into space ; CD5 : Live inside 76 and 77 ; CD6 : Live 1970-73 with other thrilling and amusing features ; CD7 : The demos starring Dave Brock.
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