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La sortie d’un album des Flower Kings, c’est un événement non seulement attendu à chaque fois mais aussi, heureusement, assez régulier !! Si la prolixité n’est pas à la mode chez les groupes de tous bords, il n’en va pas de même pour Roine Stolt et son équipe ! A peine un an après "Rainmaker", les voilà qui nous servent encore un double album plein à ras bord de nouveaux morceaux.
Stylistiquement parlant, "Unfold the future", malgré son titre, ne vire pas au space rock mais il témoigne néanmoins d’une certaine évolution. Décrire ces 17 morceaux (l’édition limitée possède un bonus !) pour plus de 140 minutes de musique prendrait des pages ! Or, il faut que je fasse plus court ! Pour résumer à l’extrême, on peut dire que cet album est à la fois le plus marqué par Yes et le plus jazzy des albums des Flower Kings. Au niveau instrumentation, aux côtés du saxophoniste Ulf Wallender, peu présent sur cet album, on trouve aussi sur quelques titres le trompettiste Anders Bergcrantz. Et comme autres influences, on retrouve, un peu comme à l’habitude et pêle-mêle, parfois au sein d’un même morceau, des réminiscences de King Crimson, Genesis mais aussi le côté psychédélique de la "West Coast" des années 70 (Grateful Dead) prolongés depuis pas mal d’années par le groupe Phish… et les ambiances baroques et parfois parodiques d’un Frank Zappa.
Côté structure, cet album est comme à l’habitude un joyeux fourre-tout ! Il s’ouvre par une suite de 30 minutes, se termine par une autre de 24 (seulement !) ! Entre les deux, chansons courtes de moins de 4 minutes, instrumentaux probablement largement improvisés et pièces plus élaborées allant de 4 à 14 minutes se côtoient dans un défilement orgiaque d’éléments disparates et bien souvent, pour le plaisir de l'auditeur, savamment dosés…
Le premier morceau, "the truth will set you free", est sans doute l’un des meilleurs morceaux jamais produit par le groupe, l’un des plus "yessiens" aussi ! Stolt y sonne souvent comme Steve Howe et Hasse Froberg qui chante le morceau en duo avec lui ne copie pas Jon Anderson mais disons en tout cas qu’il le rappelle. On y retrouve cette ambiance plutôt enthousiaste de Yes, un je-ne-sais-quoi de positif, à l’image des textes humanistes que développe encore une fois Roine tout au long de cet album. C’est toujours aussi flagrant au travers de sections parfois assez orchestrales, avec des passages sautillants, des traces de jazz, d’autres plus calmes avec de la guitare acoustique et des synthétiseurs chaleureux. Pas de progressif dépressif ici.. Mais seulement un patchwork d’influences parfois surprenantes (rythmes africains par endroits) avec une dominante plutôt symphonique et lyrique, des mélodies chantées magnifiques et quelques splendides solos de claviers et de guitare. Pour conclure, un morceau dans lequel est résumé le meilleur du groupe.
Le pavé final, "devil’s playground" s’ouvre de manière très classique avec une orchestration somptueuse avant d’évoluer vers une très belle mélodie chantée sur fond de mellotron (toujours assez présent dans l’album) et d’orgue, la guitare violonisante de Stolt rappelant cette fois Steve Hackett, en alternance avec une section plus saccadée et dissonante où intervient le saxo (on pense un peu à King Crimson vers 71). La suite se prolonge avec de nombreuses parties instrumentales variées, tendues ou plus apaisées, où le groupe souvent rejoint par Bruniusson et Wallander joue très soudé (pas de solos mis bout à bout) et évoque quelques thèmes du premier morceau. Cette nouvelle pièce d’anthologie s’achève en apocalypse avec une longue reprise du "refrain" puis un court interlude free-jazz (avec saxo à la John Coltrane !) très déroutant avant un final majestueux.
Autre long titre, "silent inferno" est plus prévisible, bien qu’il comporte une belle partie chantée et une très belle performance de Roine Stolt à la guitare, lequel est devenu moins démonstratif qu’il ne le fut sur "The flower King" par exemple… Certains le regretteront car ses interventions solistes sont souvent très personnelles, synthétisant le côté rock d’Hendrix et de Santana avec le lyrisme classique de Steve Hackett, le jeu torturé de Steve Howe, un mélange inédit…
Et puis on peut citer le long instrumental bonus de la magnifique édition limitée en digibook, "too late for tomatoes" ( !) qui évoque Mahavishnu Orchestra et le Santana de "Caravanserai" (le plus jazz-rock donc) et s’achève en délire après plus de 10 minutes de virtuosité débridée, au lieu des 7 annoncées sur le livret…
Tout n’est pas fantastique dans les Flower Kings, sans nul doute… Suivant ses préférences, chacun décidera des morceaux les plus réussis, des plus difficiles d’accès et des plus dispensables… impossible de juger, c’est tellement varié… peut-être trop, au risque de dérouter souvent et pendant trop longtemps l’auditeur. 2 CD de 70 minutes comme ça, à la suite, c’est assez éprouvant, d’une certaine manière ! Les passages très jazz, voire expérimentaux comme les instrumentaux "christianopel" (merci le King Crimson de 69-72), le délirant "devil’s danceschool" (avec sa trompette alambiquée à la Miles Davis) ou "soul vortex", tous aux allures d’improvisations collectives sont sans grand intérêt et gâchent même l’album, à mon humble avis bien sûr… D’autres les aimeront, je n’en doute pas… Cette variété est peut-être la clé du succès du groupe d’ailleurs, dont les répercussions commerciales ne sont pourtant pas encore à la mesure des critiques que l’on peut lire dans les fanzines progressifs…
On pourra trouver aussi curieuses ces bizarres chansons un rien funk comme "monkey business" ou le trop long "fast lane". Sans parler du diptyque "black & white" à la mélodie chantée émouvante et intimiste qui évoluera de façon incompréhensible vers une longue partie instrumentale jazz-rock avec un gros travail de percussion du toujours fidèle en studio Hasse Bruniusson.
"Grand old world" est une sorte de ballade calme avec son piano et ses synthés oniriques et ses lignes de saxophone omniprésentes qui me rappellent certains titres de l’album de Roine Stolt "The flower king".
L’album n’est certes pas très rock, on n’y retrouve pas ou peu de ces passages réminiscence du hard-rock des années 70… comme sur "Rainmaker", à part peut-être "genie in a bottle" (8 :10 quand même ! Mais il contient de belles accalmies) et surtout l’irritant et pesant "rollin’ the dice" (4 :15) où un Hasse Froberg braillard se prend pour Glenn Hughes tandis que Daniel Gildenlow lui donne la réplique et joue le rôle de Satan !…
Par contre plusieurs morceaux courts sont vraiment magnifiques, il s’agit souvent de petites ballades sans batterie, voir surtout basées sur les claviers (Stolt est aussi un bon claviériste, ne l’oublions pas) avec un peu de guitare acoustique. Ces morceaux courts mais pas très commerciaux, qui évoquent vaguement de vieux titres de Genesis ou de Steve Hackett en solo, avec des nuances classiques et passéistes assez prononcées, comptent parmi les grandes réussites de "Unfold the future" : "the navigator", "vox humana" (avec un Hasse Fröberg superbe de sensibilité), "man overboard" et "solitary shell", sont tout sauf des morceaux "de remplissage"… ils sont simplement très beaux.
Roine Stolt a écrit la totalité des textes et composé encore une fois la grande majorité des morceaux, aidé parfois par Bodin, qui lui aussi signe quelques musiques seul. Hasse Froberg chante beaucoup par rapport à d’habitude et on ne s’en plaint pas, son timbre clair et polymorphe faisant un bon mélange avec la voix chaude mais un peu voilée de Stolt. On notera aussi la présence de Daniel Gildenlow de Pain Of Salvation surtout pour des chœurs. Tomas Bodin délivre, comme d’habitude, des performances aussi fluides que détonantes, entre arrangements symphoniques superbes et solos parfois fluides, parfois torturés, le tout avec un éventail de sonorités sans limite, allant de l’orgue Hammond à celui d’église, en passant par les sonorités du mellotron, les sons de véritables orchestres virtuels, d’autres carrément très modernes et assez "space", le piano classique, également piano électrique, vibraphone, sitar et j’en passe !
La section rythmique, très bien mise en valeur, au son plein et rond, chaleureux, mérite une mention spéciale tant elle est fabuleuse, à la fois riche, inventive et régulière… Le bon équilibre entre la virtuosité, la mélodie, la régularité rythmique et le feeling. Jonas Reingold (basse) et Zoltan Csörcz (batterie) sont vraiment deux musiciens de grande classe, pas de doute.
Juger "Unfold the future" relève de l‘impossible… Tant de prolixité et d’influences pourraient mener un auditeur même averti à l’indigestion… Mais depuis 8 ans, les Flower Kings nous invitent à un voyage à nul autre pareil, perpétuant la tradition des grands maîtres des seventies dans une approche fraîche et originale… avec un sens de la démesure qui parfois se tourne en dérision car ces musiciens sont tout sauf dénués d’humour ! … "Baroque, tel est l’adjectif qui leur convient peut-être le mieux. En tout cas, cet album confirme leur talent, et si certaines longueurs et quelques délires inutiles alourdissent un peu l’album, celui-ci est l’un des plus réussis du groupe, car l’ensemble est non seulement ambitieux mais sensible et mélodique en grande majorité.
Ceci étant dit, c’est, comme toujours, une affaire de goûts…
Marc Moingeon
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