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Le prêtre italien était soucieux. Tout en aiguisant la lame un peu courbe d’un sabre de cérémonie, son esprit passait en revue les détails de la soirée qui s’annonçait. Il chuchotait et sa voix était couverte par le crissement strident de la pierre sur l’acier. Il disait cependant : "Bon, la vierge, je l’ai, le vin sacré j’ai deux tonneaux, les invitations ont toutes été reçues, le bourreau a confirmé sa présence, la craie pour le pentagramme, c’est bon elle est dans ma poche, j’ai bien ôté tous les crucifix, tout baigne, tout va bien…"
Les yeux exorbités, le moine impie lâcha la pierre et l’arme, et porta ses mains sur son front : "La musique !" hurla-t-il, "J’ai oublié la musique, cette nuit, au couvent des sœurs écarlates !". La catastrophe ! Le grand maître ne pouvait officier sans les mélodies interdites et comme il ne plaisantait pas avec le cérémonial, c’était un coup à se retrouver écorché vif avant d’avoir eu le temps de dire un psaume. Il était bien trop tard pour retourner au couvent, il lui fallait trouver une solution immédiatement pour conserver sa peau sur sa chair.
Pris de frénésie, il alla fouiller dans les affaires des victimes récemment suppliciées, se rappelant vaguement que l’une d’elles possédait des CD dans son sac. En effet, il sentit les boîtiers plastiques à travers le tissu, et renversa le contenu sur l’autel. Il commenta les disques tout en les examinant : "Du Metallica, trop cool, un Motorhead, c’est pour les gamines, le dernier Deicide, c’est du comique, un Cradle Of Filth, trop gentil, un Magma, le Malin ne va pas aimer, et tiens, un album d’Antonius Rex… Chouette pochette. Se pourrait-il… ?". Il se rua dans la sacristie et mis en marche le lecteur CD, déposa la rondelle brillante dans le tiroir et appuya sur "Play".
Dés les premières secondes, le prêtre su qu’il venait de sauver sa tête. Le rythme pesant qui commençait à résonner dans l’église était calqué sur la marche du condamné. Des chœurs malsains se répandaient dans l’espace, tandis que des claviers sombres et glacés répétaient sans cesse la même litanie. Le moine remarqua l’absence de chant (si l’on exceptait quelques borborygmes épars et des grognements sporadiques), et cela le combla de joie car le maître aimait entendre les psalmodies des participants par-dessus le fond sonore. Le seul point noir était la durée du CD, dans les 25 minutes, c’était maigre et il conviendrait de mettre le lecteur en mode "Repeat".
Il retira le disque et s’aperçut que l’autre face était gravée et contenait un DVD. Sur l’ordinateur de sa chambre, il fit défiler le court-métrage (d’une demi-heure environ) et frissonna de plaisir en contemplant le sujet abordé, pile en phase avec la musique. Messe noire, profanation, sacrifice, ambiances glauques, démons et morts vivants, que du bon, quoi ! Bon, ça manquait de sang et de tripes, la réalisation était faible et les trucages utilisés témoignaient du manque de moyens qui impactait durement le film. Mais, c’était chouette quand même et l’homme d’église se promit de visualiser plus longuement ce "Magic ritual", en bonne compagnie si possible.
On blasphémait tellement mieux à deux.
Dominique Reviron
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