Karda Estra : Constellations (2003 - cd - parue dans le Koid9 n°47)

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Derrière ce curieux pseudonyme se cache en fait un compositeur multi-instrumentiste anglais, Richard Wileman, qui en est à son septième album sous ce nom. Notre homme est guitariste (classique et électrique, basse), claviériste (bien qu'il avoue séquencer ses parties de claviers en général), et même percussionniste ! Mais Wileman est sans doute avant tout un compositeur original, qui travaille parfois pour les films et les documentaires. Sa musique possède sans aucun doute une saveur classique moderne, pas toujours très accessible, pas très joyeuse non plus mais il s'agit de musique tonale, essentiellement mélodique, souvent calme mais pouvant décoller dans des envolées grandioses ou bien, plus rarement, d'expérimentation plus dissonante.

"Constellations" est un album assez court, constitué de la suite du même nom, laquelle se décompose en 6 parties bien distinctes (de 3:36 à 9:28) totalisant environ 35 minutes, le tout étant complété en fin d'album par une reprise très personnelle de "twice around the sun", magnifique instrumental qu'on retrouve sur "Darktown" de Steve Hackett, un musicien dont Richard Wileman avoue l'influence constante.

Aux côtés de Richard, on retrouve Ileesha Bailey (vocalises), Caron Hansford (hautbois, cor anglais), Helen Dearnley (violon), Sarah Higgins (violoncelle), Rachel Larkins (alto) et Zoe King (flûte, saxophones alto et soprano).

Ne vous attendez pas à des morceaux de type rock progressif avec claviers, guitares, basse, batterie accompagnés par un ensemble classique. En fait la basse est utilisée comme instrument mélodique, la batterie est utilisée très occasionnellement et Ileesha Bailey ajoute simplement de très belles vocalises à plusieurs morceaux, on ne parlera pas de chansons.

En fait, la musique de Karda Estra est très éloignée du rock, assez inclassable pour tout dire.

Wileman utilise la guitare électrique légèrement comme le fait Hackett, c'est-à-dire en altérant sa sonorité afin de la faire ressembler à un violon, en faisant des tirés qui donnent une teinte planante à la musique. Il utilise aussi la guitare glissando comme par exemple Steve Hillage ou Edgar Froese de Tangerine Dream aux débuts de son groupe. De fait, certains morceaux, comme "the southern cross" avec ce type de sonorités éthérées et cet orgue majestueux, plus les cordes et les bois, rappellent les envolées cosmiques du groupe berlinois à l'époque de "Atem" ou "Alpha centauri", en plus mélodique. On pense aussi à "hands of the priestess" de Hackett, dont l'album "Voyage of the acolyte" a probablement marqué le compositeur. Mais "Constellations" n'est pas seulement paisible et planant. Cette musique recèle pas mal de tensions intérieures et témoigne d'une utilisation discrète de la dissonance, parfois inquiétante comme sur certaines parties d' "hydra" beaucoup plus difficile d'accès. Je n'aime pas le terme de "classique contemporain" mais il est clair que Richard Wileman s'intéresse sûrement à des compositeurs de ce domaine, tout du moins à des compositeurs classiques du début du 20ème siècle.

Les parties jouées par les cordes et les bois sont un élément essentiel des arrangements et sont aussi importants que la guitare classique et électrique, le piano et les synthés, parfois même plus. Sans parler des parties vocales angéliques (la chanteuse s'est souvent réenregistrée plusieurs fois). "Twice around the sun" en particulier est très différent de l'original, car dénué de rythme et la partie mélodique est joué par le hautbois, tandis que l'accompagnement par la guitare classique et électrique.

C'est un orchestre moderne, hybride, qui se cache derrière Karda Estra ; et s'il faut parfois à l'auditeur un certain temps d'adaptation pour apprécier certains aspects de cette musique, il est certain que "Constellations" est original et le plus souvent très beau, bien que toujours mélancolique, parfois dérangeant. Un artiste à suivre de près en tout cas. Dommage que le livret soit aussi minimaliste et peu esthétique.

Marc Moingeon






Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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