Steve Hackett : Somewhere In South America (2003 - 2 cd / 1 dvd - parue dans le Koid9 n°45)

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Enregistré lors d'une tournée mouvementé en 2001 en Amérique du Sud (Hackett explique sur les courtes notes que leur équipement a été bloqué et qu'ils ont été rançonnés par la police !), le concert retranscrit intégralement sur ce DVD et ces deux CD (105 minutes environ) s'est tenu à Buenos Aires, comme celui de Rick Wakeman récemment chroniqué en 2002 dans nos pages.

"Somewhere in South America" existe sous plusieurs formes mais on trouve seulement en magasin le package complet : 1 DVD et deux CD qui reprennent exactement le concert filmé dans un digipack spécial. Sur le site officiel, on peut acheter soit le double CD en digipack pour une somme très modique, soit seulement le DVD ou la cassette VHS.

Le tout est affublé d'une couverture sombre et verte, laissant à peine entrevoir un Hackett spectral en lunettes noires (comme toujours) … une illustration pour le moins mystérieuse, qui annonce en partie le matériel musical présenté ici.


La partie DVD est d'excellente qualité du point de vue technique mais les prises de vue ne sont pas parfaites (genre le gros plan qui coupe les doigts de Steve en plein solo ou la caméra qui vise pile entre lui et le bassiste mais en coupant la moitié de chacun aux extrémités de l'écran !). Les gros plans sont souvent pris de trop près d'ailleurs… Mais l'éclairage est bon et il y a suffisamment de mouvement pour ne pas s'ennuyer. De plus, chaque musicien est bien représenté. En bonus, pour ceux qui parlent pas mal anglais ou du moins le comprennent pas mal (nuance !), vous avez une petite interview de 20 mn de Steve, fort intéressante, prise lors de la tournée en 2000 plus quelques plans enregistrés en répétition.

Bref, à part quelques défauts mineurs, ce DVD est très intéressant.


En fait, c'est la musique qui l'est par dessus tout. Pas moins de 6 titres inédits sont présentés ici, si on en croit la liste !!

La réalité est un peu moins alléchante mais il y a effectivement beaucoup de matériel inédit dans ce concert.

En fait, la plupart des morceaux nouveaux sont des pièces assez courtes et assez expérimentales (entendez difficiles d'accès !) qui servent d'introduction à d'autres… Ainsi "the floating seventh" est une brève séquence planante qui se fond rapidement en un véritable inédit : le ténébreux et étrange "mechanical bride", le tout formant une étrange suite de près de 8 minutes… un ensemble contrasté où Hackett parle plus qu'il ne chante entre des séquences assez rock mais dissonantes qui ne sont pas sans rappeler King Crimson dans les années 70… Curieux, non ?


On ne dira jamais assez à quel point Steve Hackett est un musicien talentueux mais extrêmement éclectique et versatile… En 2001, il disait s'intéresser de près au jazz, une influence qu'on n'avait alors jamais trop perçue (du moins au point de vue mélodique ou harmonique) dans Genesis ni dans ses œuvres solos… Depuis, on s'est aussi aperçu également qu'il avait un petit penchant pour King Crimson dans les années 70 (Cf. le titre "darktown" et d'autres d'ailleurs) … Ce n'est donc pas si étonnant si aujourd'hui, on retrouve un saxophoniste à temps complet dans son groupe (RobTownsend, également flûtiste, qui succède à un certain Ben Castle, lequel avait rempli le même rôle pour les concerts de 2000). De même, les autres accompagnateurs de Steve possèdent un style assez jazz par moments, notamment l'excellent Terry Gregory (à la basse fretless) et le non moins impressionnant Gary O'Toole à la batterie (Quelle classe, écoutez le sur les reprises de Genesis !!). Côté claviers, on retrouve le fidèle collaborateur de Steve depuis plusieurs années, le très sobre mais très talentueux Roger King, musicien de studio, ingénieur du son, responsable des programmations et des échantillonnages sur "Darktown" en particulier (et organiste de formation !). King génère sur scène toutes sortes de sonorités incroyablement diverses, réalistes ou surréalistes, de la copie parfaite du mellotron (ensemble à cordes) à l'orchestre ou la chorale virtuels en passant par tout un tas de sons venus d'ailleurs. En fait, il représente un orchestre moderne à lui tout seul !

Toute cette équipe au service d'un fantastique découvreur de sons, guitariste hautement lyrique mais aussi technicien sous-estimé s'il en est, ne pouvait accoucher que d'un album hors du commun ! En attendant un studio, celui-ci représente quelque chose de neuf à bien des égards et pas seulement à cause de ces inédits.

En effet, Townsend est quasi-omniprésent et bien des arrangements de pièces connues ont été modifiés pour intégrer le saxophone, beaucoup plus souvent que la flûte. Ainsi, certains titres semblent presque nouveaux à cause de ces modifications, en particulier l'émouvant "walking away from rainbows", interprété à la guitare électrique et rallongé d'une séquence de saxo soprano, ou encore la splendide "gnossienne n°2" d'Eric Satie réarrangée de la même façon.

Pour les allergiques au saxo (je ne suis moi-même pas un grand amateur ! ), la prudence sera de mise, par conséquent…


Hackett n'empoignera sa guitare classique que pour moins de deux minutes, en rappel, pour le célébrissime "horizons", qui doit tant à la première suite pour violoncelle de J.S Bach (j'ai mis assez d'années à m'en apercevoir, je la place, celle-là !!). Pourtant, son jeu de plus en plus délié avec les doigts sur ses guitares électriques fait aussi des merveilles.


Pour revenir au choix des morceaux, on peut aussi signaler que ce concert est en grande partie instrumental, seulement six morceaux sont chantés sur vingt-deux et encore, quatre d'entre eux sont plus parlés que chantés.

Pourtant, "serpentine song" apparaît comme une fontaine cristalline émergeant de l'ensemble, avec sa mélodie vocale limpide chantée en chœur et son arrangement délicat avec flûte rappelant plus ou moins le merveilleux "I talk to the wind" sur "In the court of the crimson king" : mélodie pastorale irrésistible, orchestration magnifique, arpèges cristallins, solo de guitare digne d'un violon, parties de flûtes aériennes, section rythmique aussi subtile que précise… près de 6 minutes de pur bonheur… on voit mal comment ils feraient mieux en studio…

Par contre, les autres inédits, "pollution", "the wall of knives" et "lucridus", sont plus anecdotiques et assez dissonants, flirtant avec la musique atonale… mais ils sont très brefs… des interludes plutôt que de vrais morceaux. Passons…

Dans les grandes réussites, on peut mentionner aussi le classique et orientalisant "the steppes" (merci le boléro de Ravel !), dans ce qui est peut-être sa meilleure version, le planant "sierra quemada" et sa guitare éthérée, lui aussi changé pour intégrer des éléments de folklore sud-américain, le grand favori des années 80 "camino royale" mi-prog, mi-chanson, qui donne lieu à une série d'improvisations très brillantes, notamment un solo de guitare terrifiant ! Et puis surtout le merveilleux "in memoriam" et ses chœurs virtuels presque grégoriens, où Hackett génère des sons synthétiques splendides et improvise un peu… Un final très solennel avant les rappels, applaudi à tout rompre.


Il faut aussi mentionner le medley de titres solos agrémenté de quelques bouts de Genesis, qui est à l'honneur avec des versions uniquement instrumentales de l'inoubliable "watcher of the skies", le délicat et méconnu "hairless heart", l'inévitable partie soliste de "firth of fifth" (j'en ai des frissons à chaque fois ! ) et le fameux "los endos" dans sa version de "Genesis revisited"…

Le point négatif, c'est que Hackett abuse un peu trop de la dissonance et ce de façon prolongée vers la fin du concert. Il est curieux de voir que le guitariste à toujours privilégié la mélodie mais se réserve systématiquement quelques délires étranges.. Or il semble prendre plaisir à reprendre en concert un certain nombre de ses pièces les plus difficiles comme "a tower struck down" et le lugubre "darktown" qui sont entourés de "wall of knives", "lucridus" et "vampyre".. cela fait vraiment beaucoup en une fois…

Heureusement, ces passages expérimentaux sont contrebalancés par de nombreux moments mélodiques, lyriques ou intimistes où la guitare semble chanter comme une voix aux possibilités surhumaines. Mais quand même… on regrette l'absence de joyaux tels que "twice around the sun" ou l'émouvant "jane austen's door", issus de "Darktown".

Comme d'habitude, serait-on tenté de dire, Steve Hackett éclate le carcan des conventions, brise de nouvelles barrières et défriche de nouveaux horizons musicaux, exploitant ses guitares de toutes les façons possibles comme l'immense musicien qu'il est, jouant sur les contrastes, capable du plus beau comme des passages les plus inquiétants, au risque de désappointer parfois l'auditeur …

Ce DVD live est pourtant l'occasion de se dépayser et de retrouver d'excellents morceaux bien connus, anciens ou nouveaux, dans des versions suffisamment différentes des originales pour susciter l'intérêt de l'auditeur le plus blasé ! On attend quand même avec impatience les prochains albums studio du maître, en particulier l'album "classique" qui se fait attendre !

Marc Moingeon








Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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