Yngwe Guddal - Roger T Matte : Genesis For Two Grand Pianos (2000 - cd - parue dans le Koid9 n°44)

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La reprise de musique classique par des musiciens de rock, c’est une vieille idée qui a fait son chemin. Les adaptations orchestrales de musiques rock, c’est du déjà-vu aussi. Mais que deux pianistes classiques reprennent et adaptent pour leur instrument de prédilection la musique du géant du rock progressif des seventies, c’est déjà plus original.

C’est ce qu’on fait Yngve Guddal et Roger T. Matte, deux musiciens Suédois passionnés de Genesis qui ont sorti initialement cet album en 2000. Passé inaperçu, mais redécouvert par Steve Hackett qui a décidé de le rééditer sur Camino Records. Hackett a demandé pour l’occasion à ses deux concepteurs de rallonger cet album assez court d’un morceau. C’est "mad man moon" extrait du magnifique "A trick of the tail" qu‘il ont choisi pour ce faire, et il ont vraiment bien fait car il s’agit certainement de l’une des pièces les plus inspirées par la musique classique qu’ait jamais enregistré le groupe de Tony Banks, à qui l’album est d’ailleurs dédié.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si bon nombre de morceaux de cet album sont des pièces entièrement signées par le claviériste de Genesis. Le fantastique "one for the wine", longue suite complexe extraite de "Wind and wuthering" et le plus méconnu "evidence of autumn" (un des 5 titres studios inédits de "Three sides live") sont eux aussi les œuvres du musicien le plus discret mais aussi le plus important du groupe. Transposer l’aspect orchestral des 7 compositions reprises ici n’était pas une mince affaire mais avec deux Steinway & Sons, Matte et Guddal ont fait parfois des miracles, usant de tout leur savoir faire pour transcrire une musique qui, pour autant qu’elle soit d’inspiration classique, n’en respecte pas les règles habituelles. Pour preuve "fountain of salmacis", extrait de "Nursery cryme" en 1971, certainement l’une des plus belles chansons de Genesis ouvre l’album avec une grace majestueuse, impeccablement restituée, son introduction orchestrale, la partie vocale dramatique de Peter Gabriel, le solo de guitare électrique épique en arpèges de Hackett, la syncope des rythmes, la cavalcade effrénée de la partie instrumentale qui occupait tout le centre du morceau, tout ceci est aisément reconnaissable dans l’arrangement complexe des deux pianistes, lesquels arrivent à rendre toute la grandeur et le souffle épique de ce morceau majeur du rock progressif. "Mad man moon" est absolument magnifique, légèrement raccourci (7:26 au lieu de plus de 9 minutes) mais il eut été dommage de ne pas adapter ce bijou de mélancolie signé Banks, peut-être sa plus belle réalisation, toute en finesse et en sensibilité. Plus inattendu est le sous-estimé "can utility & the coastliners" extrait de "Foxtrot", presque méconnaissable au début mais dont la partie instrumentale finale prend ici toute sa dimension classique, bien plus encore que sur la version du groupe. Autre grand chef-d’oeuvre "one for the wine" est un travail extrêmement difficile à rendre et le duo Guddal /Matte a certainement travaillé dur pour aboutir à une version à la fois aisément reconnaissable dans l’ensemble et ce dans chacune des multiples sections, dotée également d’éléments nouveaux. Mais les pianistes ne se sont pas limités au très vieux morceaux et on découvre avec surprise la reprise de "down and out" qui ouvrait "And then there were three" ainsi qu’un long extrait de "duke’s travels", deux pièces pièces redécouvertes ici, étant donné l’importance de la batterie dans les morceaux originaux. Ici, les deux musiciens ont vraiment produit quelque chose de nouveau et nous font voir ces musiques sous un jour très différent. Même chose pour "evidence of autumn", autant la version d’origine tirait déjà vers ce qu’allait devenir Genesis avec "Abacab" (tout en conservant des traces du romantisme et le sens de l’orchestration de Banks), autant Matte et Guddal révélent toute la magie de ce morceau splendide dans le contexte classique qui lui convient bien mieux, tout en développant les idées de son compositeur.

"Genesis for two grand pianos" est vraiment un album aussi étonnant qu’inattendu et il eut été dommage que Steve Hackett ne tombe pas sur ces deux artistes de grande classe. Comme il le dit lui-même sur le livret, la musique de Genesis reposait très souvent sur des racines classiques et il est bien normal que ce soit deux musiciens classiques qui en retirent cette essence particulière.

Quiconque aime vraiment Genesis se doit de posséder cet album et pour les autres il peut être l’occasion de (re) découvrir l’un des meilleurs groupes de rock de tous les temps. Vous avez dit "rock" ? Oui, peut-être…

Marc Moingeon






Cet article provient de Koid'9 magazine rock & progressif

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