Nemo : Présages (2003 - cd - parue dans le Koid9 n°48)
J’ai prié Bernard (que Vishnou sanctifie son nom) d’accepter que je chronique le nouveau Némo. Pour l’avoir entendu chez lui (que Brahmâ répande des roses sous ses pas), il m’avait semblé qu’il méritait quelques écoutes approfondies. Un méga pavé dans la mare du rock progressif français, voilà ce que nous ont balancé les quatre musiciens de Némo (Guillaume Fontaine aux claviers et chants ; Benoît Cagnon à la basse ; J.B Itier à la batterie et J.P. Louveton aux guitares et au chant). "Présages" est résolument ambitieux, réalisé avec le plus grand soin. Il possède les trois dimensions nécessaires à un grand album : technique, mélodie et émotion. Les textes, tour à tour poétiques, tristes, résignés, apportent une coloration dérangeante, une sensation "fin de monde", comme si l’on feuilletait des peintures d’Enki Bilal. Tableaux mélancoliques et désenchantés, présageant un futur rendu incertain par d’amers fléaux : l’effet de serre, les intégrismes, la couche d’ozone, l’évolution du genre humain. La musique de Némo n’en est pas pour autant grise, froide, austère… Non ! Ces noirs présages nous impliquent tous, l’écoute en devenant encore plus intense, plus intéressante puisque paroles et musique sont en symbiose. Rien que l’écoute du morceau d’ouverture, "la dernière vague", permet à n’importe quel auditeur non sourd d’apprécier sa qualité de composition. Démarrage par un piano classique, rejoint par une guitare saturée qui crée un leitmotiv, puis le reproduit à l’infini, le triture, le transforme en conservant la trame initiale. Le rythme s’accélère, se rapprochant d’un speed métal instrumental avec une classe et un goût qui enterrent les hardos finlandais. Malgré cette intro exubérante, la séduction s’opère en douceur : le chant contribue à cette impression ainsi que les nombreuses idées mélodiques finement exécutées par des musiciens compétents. Le final procure une sensation d’oppression lorsque le groupe joue dans la résonance, à la manière d’un bourdon d’église, et que des cloches sombres achèvent le morceau. "Générateur" est plus léger, plus conventionnel, mais il possède un très joli riff de guitare, technique et accrocheur. Les paroles sont un peu prévisibles, convenues, et la voix n’est pas mise en valeur. Par contre, au niveau instrumental, ça assure sévère entre une très chouette ligne de basse et une accélération abondant en chorus qui se croisent et se superposent. Grosses techniques, absolument pas stériles ou démonstratives mais dévolues au service de la musique. "La mort du scorpion" est LE morceau (en 3 parties) de l’album. L’instant de grâce où sentiments, puissance, intelligence et poésie se réunissent en une entité, en une histoire de soleil nourricier qui devient prédateur. Un conte digne d’Ange ("Au-delà du délire"). La conclusion de la troisième partie est énorme de force contenue, avec un mur de guitares au son métallique et un mouvement instrumental inexorable, preuve d’une tristesse insondable. Il ne faut pas pour autant oublier l’œuvre la plus audacieuse de ce CD, "les nouvelles croisades", qui s’étend sur 18 minutes et 5 sous-titres. Némo ose ici une composition polymorphe, dynamique, colorée, qui passe à la vitesse d’un 45 tours ! "Cavalerie" est le nom de l’instrumental d’ouverture : une suite alerte d’échanges entre piano et guitare, où des voix douces se posent rythmiquement. Il y a comme un parfum de Yes époque "Fragile"... "Confrontation" joue sur le répétitif du chant tel une litanie religieuse scandée à la face des infidèles. "Désolation" est un interlude très réussi, beau et simple, ne méritant vraiment pas son patronyme. "La danse des morts" est un méchant morceau de résistance, très technique, avec un superbe solo de guitare de JPL : on retient mieux l’impression de cohésion du groupe sur cette plage ardue. Le contenu musical est très riche, mais le feeling n’est pas oublié : Némo se permet de garder sa poésie jusqu’à la dernière phrase du dernier couplet. S’il n’y a qu’un album à se faire offrir par le Père Noël, c’est évidemment celui-là. Cela vous fera un peu plus de magie au pied du sapin. Dominique Reviron |